Je sais une seule
chose, je veux la revoir. Etudier son visage pendant chaque rendez-vous.
-Pourquoi ? N’es-tu pas capable de te garder son image incrustée dans ta rétine et te perdre dans les souvenirs de ses délicates lignes ?
Non, je ne peux
pas ; plus ses traits me fascinent, plus mon incapacité à me souvenir d’elle
est grande. Avec la réjouissance d’un enfant qui, jour après jour, coure vers
ses parents à la sortie de l’école, est née au plus profond dans mon cœur une
cavité que la sensibilité d’une autre femme ne pourra jamais atteindre,
l’impérieuse nécessité de la revoir et l’urgence de découvrir ce qui la fait
unique, et de sculpter son visage avec mon regard pendant chacune des secondes
durant lesquelles nos corps se trouvent proches.
Je crois que
l’être aimé est toujours en mouvement à nos yeux et que nous ne pouvons en
garder que des images floues ; à vrai dire, d’elle, je n’ai pu graver que
quelques souvenirs de courts instants pendant lesquels elle m’a fait grâce d’un
geste divin ; lorsqu’elle caresse sa longue chevelure blonde, ou l’un de
ces moments où se plissent irrésistiblement le coin de ses lèvres et qui
provoquent une sensation de douce complicité.
-Cher Horace, sa
beauté est telle qu’elle éveille tous tes sens et en devient insaisissable.
Sa beauté comble
mes sens à tel point qu’elle me m’épuise et me défait ; cela ne me semble
pas être l’origine de mon incapacité à dessiner son visage en son
absence ; la cause est autre, sa personne même projette son extraordinaire
individualité dans chaque mouvement, dans chaque nuance de ses gestes.
Elle projette sa
personnalité insaisissable dans le délicat habitacle où je confie jalousement
ma fragilité. Et cela, mon cher ami, est l’origine de cette incapacité à garder
d’elle des souvenirs nets, car la beauté a ses limites mais son être est si
vaste.
Un jour j’ai
entendu quelqu’un dire : “La beauté attire, la personnalité absorbe ».
Elle semble posséder ces deux qualités en parfaite harmonie, au point qu’elles
se confondent.